Considérations pratiques et recommandations

N.B.: Le contenu de cette page est tiré de la brochure éditée en 2002; voir la décision CIIP de juin 2021 ici.

Les remarques ci-dessous ont pour but de donner un "cadre pour l'action" face à l'existence de la variation orthographique.

Rappelons d'abord ce que nous considérons comme fondamental:

Les élèves qui mettent en œuvre, sciemment ou par mégarde, des graphies qui sont proposées par les rectifications de 1990 ne doivent pas être sanctionnés. Pour cela, il importe que tous les enseignants connaissent l'existence des rectifications.

C'est là l'objectif principal de cette brochure.

Les questions qui suivent nous ont été posées à plusieurs reprises: elles sont liées aux problèmes concrets qui se posent face à l'existence de la variation orthographique. Nous tentons d'apporter des réponses, tout en restant conscients qu'elles ne peuvent être que partielles. Elles constituent cependant quelques points de repère.


SITUATION SCOLAIRE

Peut-on enseigner la nouvelle orthographe?

En matière d'orthographe, aucune véritable contrainte juridique ne peut s'exercer. En revanche, il existe, dans les programmes d'études, des listes de vocabulaire de base, dont l'orthographe sert de référence. Un enseignant décidant de faire cavalier seul et d'appliquer les rectifications risque donc fort de se singulariser... ce qui n'est pas forcément souhaitable, ni pour lui, ni pour ses élèves. Plusieurs enseignants nous ont dit qu'ils étaient prêts à changer l'orthographe usuelle, mais qu'ils attendaient pour cela un signe de la hiérarchie scolaire (directeur d'école, président de la commission scolaire, chef du département, etc.). Les instances politiques et administratives de l'école attendent, elles, le feu vert des dictionnaires courants; quant à ces derniers, ils observent l'usage... qui s'appuie sur les dictionnaires! Il est difficile de rompre ce cercle vicieux, quoique plusieurs ouvrages de référence, on l'a vu, aient d'ores et déjà pris en compte tout ou partie des rectifications et constituent de ce fait des précédents (le dictionnaire encyclopédique Hachette, héritier du Littré, est un gage de la non marginalité des nouvelles graphies).

Idéalement, la décision devrait être prise, de manière concertée entre les différents pays francophones, par les instances politiques. Il n'est pas exclu que l'on arrive un jour à cette solution, à l'instar des pays et régions germanophones pour la réforme de l'orthographe de l'allemand, ce qui ne supprimera pas les réactions négatives de la part des usagers! Une autre "marche à suivre" pour adopter les rectifications passe peut-être par une décision prise, par les intéressés eux-mêmes, à l'intérieur des établissements ou par une demande adressée aux éditeurs de matériel scolaire pour qu'ils adoptent les nouvelles graphies. Rappelons que, en ce qui concerne l'orthographe syntaxique, il existe depuis plusieurs années des règles simplifiées prônées par certaines institutions de formation des maitres, et que ces initiatives orthographiques n'ont guère provoqué de remous jusqu'à maintenant (cf. ci-dessus le cas de l'accord du participe passé).

Puis-je utiliser, en tant qu'enseignant, les graphies rectifiées dans mes documents de travail?

D'une manière générale, les graphies nouvelles peuvent vous faire passer pour un ignorant, pour un iconoclaste ou pour un innovateur courageux, selon le degré d'information et l'attitude de vos lecteurs! En tant qu'enseignant, si le problème est le même, il exige en plus que vous puissiez vous justifier, dans la mesure où vos textes ont une dimension de modèle que ne possèdent pas (ou moins) ceux des autres usagers.

Cette brochure est un des documents dont on peut se prévaloir pour faire accepter les nouvelles graphies issues des rectifications de 1990, mais il y en a d'autres (cf. bibliographie).

Peut-on adopter une partie seulement de la réforme?

Oui, puisque cette réforme a explicitement été mise à l'épreuve de l'usage.

Peut-on enseigner deux orthographes pour un seul mot?

"Les gens n'aiment pas la variation. Ils veulent savoir comment écrire, [et ne pas avoir de choix à faire] (...). Quant aux enseignants, eux aussi vont peut-être trouver que cela leur complique la tâche, surtout pour l'enseignement primaire et à l'étranger. (...) Les aider, c'est leur dire: ça s'écrit comme ça"

Ainsi s'exprime Nina Catach (mai 1995, cf. Matthey 2001), en réponse à une de nos lettres où nous soulignions la possibilité de mentionner deux orthographes pour un même mot.

"Même si je suis pour [la nouvelle orthographe], à mon corps défendant je continue d'enseigner la vieille orthographe car s'il faut enseigner la vieille et la nouvelle en même temps, on s'en sort plus!" nous dit également un professeur de français.

L'opinion la plus répandue veut en effet que l'orthographe soit "déjà bien assez compliquée comme ça" et qu'il n'est pas pensable d'enseigner deux graphies naître ou naitre, douçâtre ou douceâtre, il cédera ou il cèdera, oignon ou ognon, etc.

Il n'est pas prouvé que la perte de temps et le cout cognitif imputés aux graphies doubles soit si insupportable. D'une part, les mots touchés par les rectifications et qui font partie des listes du vocabulaire orthographique de base sont finalement assez peu nombreux; d'autre part, l'existence de deux graphies permet de thématiser l'existence d'une certaine variation, dans l'histoire, comme dans les dictionnaires actuels. Cette activité est assez adaptée à une démarche d'"Eveil au langage" (Language awareness), portant sur l'orthographe, ses normes et son évolution (Matthey 1998).

Ne vais-je pas pénaliser mes élèves en enseignant ou en tolérant les nouvelles graphies?

Le risque de pénaliser les élèves n'est pas négligeable, dans la mesure où l'existence des nouvelles graphies n'est pas connue de tout le monde: c'est d'ailleurs pour cette raison que la CIIP a mandaté la DLF pour rédiger ce document et que la Conférence a décidé de l'envoyer à tous les enseignants. D'une manière générale, il parait souhaitable de rendre les élèves attentifs au fait qu'ils utilisent, par mégarde ou non, des graphies rectifiées... et de thématiser l'existence de graphies traditionnelles et nouvelles. Cela implique, à nouveau, que les enseignants des degrés primaires et secondaires, et les maitres d'apprentissage, connaissent l'existence des rectifications.

La variation orthographique ne risque-t-elle pas de déstabiliser les élèves?

"Dorénavant, écrire le mot "maitresse" risque de perturber les élèves" peut-on lire dans la légende d'une photo illustrant un article sur les rectifications (Le Matin, 9.2.95). C'est oublier que la variation graphique, comme nous l'avons mentionné ci-dessus, est déjà largement présente dans les dictionnaires, comme dans les écrits divers: clé/clef, gaiement/gaîment/gaiment, pagaille/pagaye/pagaïe, les exemples ne sont pas difficiles à trouver. Sans parler des coquilles et autres fautes d'orthographe, qui passent le plus souvent inaperçues... Citons André Goosse (1995): "Sortant de ma Faculté de Louvain-la-Neuve, je vois du même coup d'oeil les inscriptions Grand-Place (régulier), Grand'Place (régulier avant 1932), Grand Place (irrégulier). Qui proteste? Qui même le remarque?". Notons qu'actuellement le français compte plus de 5000 plurigraphies et qu'à l'évidence elles ne déstabilisent ni les enseignants, ni les correcteurs d'imprimerie.

Comment savoir si l'élève applique les rectifications ou fait une faute d'orthographe?

Cette question trahit bien le souci de l'enseignant qui veut, à juste titre parfois, que ses élèves "sachent qu'ils savent". Dans ce cas, ce souci parait un peu exagéré. Du moment que certaines modifications orthographiques sont proposées, voire recommandées, par diverses instances normatives, dont l'Académie française, il n'y a plus lieu de se poser la question de savoir s'il s'agit de graphies volontaires ou non... elles ne doivent pas être sanctionnées même s'il y a tout lieu de penser que l'élève ne produit pas telle ou telle graphie rénovée en se référant aux rectifications.

Que faire face à la variation orthographique chez un même élève?

Il parait souhaitable d'enseigner les nouvelles graphies, du moins celles qui ne posent aucun problème et de corriger les élèves dans ce sens, sans sanctionner l'utilisation des anciennes graphies. Dans la situation scolaire, il est en effet préférable d'amener les élèves à produire une orthographe cohérente, c'est-à-dire à adopter définitivement telle ou telle graphie nouvelle qui est enseignée.

Que faire face à la variation entre élèves?

Nous pensons plus particulièrement à la scolarité postobligatoire, au cas où un ou plusieurs élève(s), possédant déjà une certaine maitrise de l'orthographe et au fait de tout ou partie des rectifications, les appliquent dans leurs productions écrites, ce que ne font ni l'enseignant ni les autres élèves. Dans ce cas, la tolérance est de mise, puisque chaque usager est en droit d'appliquer, ou non, tout ou partie des rectifications.

 

ÉDITION ET CORRECTION DES MANUSCRITS

Est-il possible d'appliquer les rectifications dans un ouvrage ?

Il est bien sûr possible de le faire. Toutefois, il est peut-être encore nécessaire d'avertir le lecteur que l'orthographe est conforme aux rectifications de 1990, afin que personne ne soit tenté de croire qu'il s'agit de coquilles.

Que faire face à un ouvrage qui réunit différents auteurs, différentes orthographes ?

Le problème de la variation orthographique au sein d'une même publication est délicat. Nos us et coutumes en la matière se satisfont d'une certaine cohérence et d'une certaine stabilité. En effet, les usagers sont couramment tentés de spécialiser les variantes linguistiques, et, par exemple, de se demander à quelle différence de signification correspond telle ou telle différence orthographique. Si l'ouvrage réunit des articles de différentes personnes, il est possible de respecter l'orthographe de chacun en mentionnant, au début de l'article, qu'il est écrit en "nouvelle orthographe". Si les auteurs produisent ensemble un texte, il ne parait guère possible de mélanger les graphies traditionnelles et nouvelles. Dans ce cas, il est sage de ne conserver qu'une graphie, traditionnelle ou nouvelle.

Comment faire pour que les graphies nouvelles soient respectées ?

L'existence des rectifications crée de fait une variation légitime. Dès lors, il y a un aspect identitaire dans la mise en oeuvre ou au contraire dans le refus d'appliquer les nouvelles graphies. Dans le cas ou l'auteur et le correcteur du texte ne partagent pas les mêmes normes, c'est généralement ce dernier qui décidera de la graphie! Les correcteurs d'imprimerie sont des acteurs importants dans l'acceptation ou au contraire le refus de nouvelles graphies. Autant dire que leur attitude face aux rectifications sont autant décisive que les attestations dans les dictionnaires pour l'avènement de la nouvelle orthographe dans l'usage. Notons qu'en Suisse romande, tous les médias ont adopté la graphie cheffe, qui ne figure dans aucun dictionnaire de référence français, belge ou québécois. Ce qui montre bien que chaque région linguistique, qu'on le veuille ou non, dispose d'un certain potentiel d'innovation.

La façon la plus honnête de traiter les graphies nouvelles, voire, si on le désire, de contribuer à leur promotion, est de mentionner que le texte en contient, voire de les signaler dans une note lorsqu'elle se présentent. Rappelons que les rectifications touchent en moyenne un mot sur deux ou trois pages dans un texte courant.


En résumé...

Il n'y a pas de raison pour que l'orthographe reste fixée dans sa forme actuelle. Elle a évolué durant plusieurs siècles avant d'être figée, il y a une centaine d'années environ. Cette absence d'évolution fait accroire que notre orthographe est immuable. Il n'en est rien évidemment. Le français est une langue en expansion, dont l'usage a évolué et continue d'évoluer; pourquoi en irait-il autrement de l'orthographe ?

En guise d'illustration de l'encadré ci-dessus, nous vous proposons un extrait de la préface du dictionnaire de l'Académie de 1740:

On peut garder l'ancienne [orthographe] sans de grands inconveniens, et les hommes faits ont de la répugnance à changer quelque chose dans celle qu'ils se sont formée dès leur première jeunesse, soit sur les leçons d'un maître plus âgé qu'eux, soit par la lecture des livres imprimez depuis plusieurs années. D'ailleurs, il leur en coûteroit une attention pénible pour être toûjours conformes aux règles d'une orthographe, qu'ils n'auroient adoptée que dans un âge avancé. Ils prennent donc le parti de conserver celle à laquelle ils sont accoûtumez, et ils la gardent, quoique la génération qui vient après eux, en suivent déjà une différente. Ce n'est qu'après qu'ils ne sont plus, que les changements dont nous parlons, et qu'ils avoient refuser d'adopter, se trouvent généralement reçûs.
En 1990, le Conseil supérieur de la langue française a proposé des rectifications orthographiques qui ont été entérinées par l'Académie française et mentionnées dans divers ouvrages de référence. Par conséquent, les élèves qui mettent en œuvre, sciemment ou par mégarde, des graphies conformes aux rectifications proposées ne doivent pas être sanctionnés. Pour cela, il importe que tous les enseignants connaissent l'existence de ces rectifications et les principes qui les soutendent.



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